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Erich Hermès, un artiste à redécouvrir

Erich Hermès (1881-1971) est un des artistes qui aura marqué le paysage culturel suisse au cours du XXe siècle. Si ses premières années sont largement inspirées par l’œuvre de Ferdinand Hodler, le Genevois d’adoption a su faire évoluer son style et sa palette durant sa longue carrière.

Nous avons rencontré Philippe Clerc, Historien de l’art, à l’occasion de la sortie de la première monographie consacrée à cet artiste protéiforme et prolifique.

ARTEEZ : Votre travail porte essentiellement sur des artistes suisses quelque peu oubliés à qui vous redonnez leur juste reconnaissance. Comment est née l’idée d’écrire une monographie sur Erich Hermès?

Philippe Clerc (PC) : Cela faisait un certain temps déjà que je m’intéressais au travail d’Hermès, dans le cadre notamment de ses liens avec Hodler. Et puis j’ai eu l’occasion de découvrir un certain nombre de ses œuvres dans des ventes aux enchères ces deux dernières années, alors que son nom s’était fait jusqu’alors plutôt discret sur le marché de l’art. L’idée d’une publication a alors germé et je m’en suis ouvert à Niklaus Manuel Güdel, directeur des Archives Jura Brüschweiler (Institut Ferdinand Hodler), a qui l’idée a plu, ce qui m’a grandement encouragé.

La Naissance de l’Aar, 1910.
Huile sur carton, 72 × 109 cm. Winterthour, Fondation pour l’art, la culture et l’histoire, inv. 4372

Une première recherche avait déjà été faite dans le cadre d’un mémoire universitaire, mais elle se concentrait essentiellement sur les décors d’Hermès intégrés à l’architecture. Or sa peinture de chevalet, plus marginalement connue, méritait aussi que l’on s’y intéresse. J’ai donc entrepris des démarches pour retrouver les héritiers du peintre. Le facteur réellement déclencheur de cette monographie a été la découverte d’un ensemble d’archives et de documents qui ont permis, au-delà même du travail de l’artiste, de mettre en lumière certains pans de sa vie restés flous jusqu’alors. Une fois ces éléments en main, il ne restait plus qu’à rassembler les différentes pièces du puzzle et à étayer le propos par des œuvres conservées dans des collections privées ou des institutions.

Lac de montagne (Lens), sans date.
Aquarelle et crayon gras sur papier, 24 × 33 cm (à vue). Collection privée

Vous avez intitulé cette monographie : « Erich Hermès : messager des arts ». Pouvez-vous nous expliquer le choix de ce titre?

PC : Le titre évoque évidemment l’Hermès de l’Antiquité, messager des dieux et divinité grecque à laquelle sont notamment confiés les voyageurs et les marchands. Il se réfère aussi aux talents multiples de l’artiste qui, tout à la fois, pratique la peinture, le dessin, la sculpture, la céramique ou le vitrail et s’adonne à toutes ces techniques avec un égal talent. Le livre fait aussi un clin d’œil à un autre Hermès avec son quatrième de couverture orange qui fait très « 24 Faubourg », sans pour autant évidemment reprendre le pantone de la maison éponyme.   

Les Nymphes du Rhône, dit aussi Les Sirènes du Rhône, 1918.
Huile sur toile, 114 × 87 cm.
Winterthour, Fondation pour l’art, la culture et l’histoire, inv. 286

Erich Hermès fait partie de ces peintres que l’on retrouve dans le sillage de Hodler. Le considérez-vous comme un suiveur ou un interprète?

PC : À mon sens Hermès est plutôt un interprète qu’un réel suiveur. S’il semble parfois « faire du Hodler », il n’en garde pas moins un style qui lui est propre, insufflé par son apprentissage de décorateur effectué à Lausanne avant qu’il ne vienne s’installer à Genève. Il reprend évidemment des thématiques chères au maître, traite dans un premier temps ses figures de la même manière, mais c’est par nature le propre de tous les artistes de se chercher, d’expérimenter et de s’inspirer de leurs prédécesseurs. On retrouve ainsi parfois chez Hermès, outre une touche hodlérienne, une proximité avec les artistes de la Sécession viennoise, mais aussi Paul Cézanne ou encore Maurice Denis.

Contrairement à un Albert Schmidt, il évolue passablement, grâce notamment aux nombreux voyages qu’il fait et qui lui donnent de nouvelles perspectives, l’entraînant vers l’inconnu et lui faisant découvrir des lumières bien différentes de celles dont il a l’habitude. L’Espagne apparaît par exemple chez Hermès comme une vraie révélation, si bien qu’il songe même à s’y installer de manière durable.

Enfants gitans à Marbella, sans date.
Huile sur toile, 65 × 50 cm.
Winterthour, Fondation pour l’art, la culture et l’histoire, inv. 4692

Pour Lorraine Aubert, associée de la Galerie Aubert-Jansem qui expose actuellement des oeuvres de l’artiste : « Découvrir Erich Hermès, c’est traverser l’histoire culturelle de la Suisse du xxe siècle ».  En quoi Hermès a-t-il marqué le paysage culturel suisse de son empreinte? 

PC : D’origine allemande, Hermès revendiquera toujours son appartenance à son pays d’adoption. Plus encore qu’un autre Suisse, il tient à démontrer qu’il est intégré, qu’il a adopté ses us et coutumes et qu’il lui est fidèle. C’est donc tout naturellement qu’il s’oriente par exemple vers des thématiques en lien avec cette nouvelle patrie. Guillaume Tell, Winkelried à la bataille de Sempach, la Mère Royaume ou son allégorie de la bataille de Naefels sont autant d’hommages à l’histoire helvétique.

Il y a ensuite ses remarquables affiches qui mettent en valeur différentes stations de sports d’hiver en Valais ou qui promeuvent le tourisme en Suisse, à une époque justement où ce dernier est en plein essor.

A gauche : Affiche pour la Fête nationale des costumes suisses, Montreux 22-23 septembre 1934. Lithographie en couleurs, Säuberlin & Pfeiffer Vevey, 99,5 × 64 cm. Sion, Médiathèque Valais.
A droite : Valais, Suisse, 1934.
Lithographie en couleurs, Säuberlin & Pfeiffer Vevey, 100 × 62 cm. Genève, Collection Galerie 1 2 3.

Finalement il y a aussi tous ses décors intégrés à l’architecture civile ou religieuse, qu’il s’agisse encore une fois de peinture ou de sculpture. 

La Rade de Genève, 1916.
Huile sur toile, env. 3,40 × 3,60 m. Lausanne, Buffet de la gare

La traversée de l’histoire culturelle suisse évoquée par Lorraine comprend aussi les nombreuses œuvres d’Hermès exécutées à Genève durant la tournée du cirque Knie, mais également au zoo de Zurich, ses portraits de paysans uranais en blouses, ses jeunes Saviésannes ou ses masques du Lötschental. Les exemples sont encore bien plus nombreux et ramène tous aux traditions de la Suisse, à ses paysages. Il n’est ainsi pas étonnant que le grand collectionneur de Winterthour Bruno Stefanini (collection conservée par la Fondation pour l’art, la culture et l’histoire) ait réuni un ensemble de plus de huitante de ses œuvres, parmi lesquelles des toiles majeures. 

Winkelried à Sempach, 1911
Huile sur toile, 69 × 99 cm. Winterthour, Fondation pour l’art, la culture et l’histoire, inv. 4348

Vous vous êtes récemment penché sur la carrière d’Émile Chambon, votre prochain ouvrage portera sur celles de Fernand Dubuis et de Stéphanie Guerzoni. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

PC : Les projets de publications que vous mentionnez tendent tous à remettre en lumière des artistes suisses du XXe siècle dont la qualité du travail est indéniable mais qui n’ont pas, aujourd’hui, la place qu’ils méritent. L’idée n’est pas de réécrire l’histoire de l’art en Suisse (plus que de l’art suisse), mais d’identifier certains éléments clés dont le potentiel de valorisation ne fait aucun doute.

Ces projets sont mis en place soit en raison d’une date anniversaire, comme c’est le cas cette année pour Hermès – né en 1881 et disparu en 1971 – et Dubuis – mort en 1991 –, ou alors grâce à la découverte d’ensembles d’œuvres ou d’archives qui permettent d’établir une biographie détaillée et de procéder à une étude globale de leur œuvre.

Si l’entourage hodlérien constitue généralement le fil rouge, il y a certaines exceptions, comme justement Chambon ou Dubuis, qui sont aussi liés à mes goûts personnels qui s’étendent évidemment aussi au-delà de 1950 et ne se limitent pas à la peinture figurative.     

Erich Hermès, dans son atelier du 15, quai de l’Île, travaillant aux peintures décoratives de Säuberlin & Pfeiffer, vers 1939. Photographie, 22,5 × 18 cm.
Archives familiales

***

A noter que le catalogue raisonné de l’œuvre de Erich Hermès est actuellement en préparation par l’association des amis de Erich Hermès.

Erich Hermès : Le Messager des Arts
Texte de Philippe Clerc
Préface de Niklaus Manuel Güdel
Avant-propos par Lorraine Aubert
Editions Notari, 2021, Genève


Pour en savoir plus:
Historien de l’art formé à l’Université de Fribourg, Philippe Clerc a travaillé pour la maison de vente aux enchères Christie’s avant d’entrer au service de différents collectionneurs suisses et internationaux. Spécialiste de la peinture suisse des XIXe et XXe siècles, il a notamment fait des recherches sur Corot en Gruyère, mais également sur les élèves de Ferdinand Hodler à Fribourg et Genève.
https://en.philippeclercfinearts.com

«Erich Hermès, Œuvres choisies»
Galerie Aubert-Jansem
11, rue Saint-Victor, Carouge
Jusqu’au 30 septembre 2021
https://www.aubertjansem.ch/

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